Mon parcours ne coche pas toutes les cases, il ne répond pas à toutes les normes, il est loin d’être parfait. J’ai des trous dans mon CV et parfois je ne suis pas à l’aise pour en parler, je n’assume pas complètement et j’ai peur d’être jugée. C’est pour toutes ces raisons que dans ma vie professionnelle, je ne sais pas comment me valoriser.

Cette problématique, les femmes sont nombreuses à l’avoir. Elles qui doivent jongler avec plusieurs vies, elles sont des pionnières en matière de parcours non linéaires. Ce sont elles qui s’arrêtent fréquemment de travailler ou prennent des temps partiels pour s’occuper de leurs enfants… ou de leurs aînés, les aidants étant à 60% des femmes. A l’arrivée, 80% des postes à temps partiel en France sont occupés par des femmes. Ce sont aussi majoritairement des femmes qui suivent leur conjoint lors d’une expatriation et peuvent se sentir démunies lorsqu’elles veulent se réinsérer sur le marché du travail à leur retour.

Mais on ignore que les parcours non linéaires sont les parcours du futur. C’est ce qu’a révélé la première table ronde des Rendez-vous de l’emploi des femmes organisés par la Mairie de Versailles le 10 octobre 2024. Ce salon, comme l’a expliqué Dominique Roucher-de Roux dans son allocution liminaire, a pour vocation d’accompagner les femmes dans leur évolution de carrière, dans leur recherche d’emploi, dans leur création d’entreprise, dans leurs reconversions.

C’est la quatrième édition et le succès de cette initiative ne fait que grandir, à tel point que l’événement ne dure plus une matinée mais se prolonge jusqu’à 16 heures. Des entreprises locales et des associations à la recherche de nouveaux profils, des professionnels de la formation et de l’accompagnement ainsi que des réseaux d’entrepreneurs ont accueilli les participantes pour des entretiens, des conseils et des séances de coaching.

Plusieurs tables rondes et conférences ont été programmées afin de libérer la parole, susciter le débat, permettre les échanges d’expériences et le recueil de conseils. La biographe et animatrice de radio Anne Boucharlat a animé deux tables rondes intitulées « Concours ou pas, la fonction publique territoriale vous tend les bras ! » et « Femmes Entrepreneures : vivre de sa passion, défis et réussites ». Le consultant Eric Picquot de l’Apec a donné une conférence durant laquelle il a distillé des bonnes pratiques pour briser le plafond de verre du salaire. Car les femmes gagnent toujours 23,5% de moins en moyenne que les hommes d’après l’Insee, tous métiers et tous temps de travail confondus. C’est la raison pour laquelle la newsletter féministe Les Glorieuses nous a informés que les femmes ont commencé à travailler gratuitement le 8 novembre à 16h48.

Se décomplexer et voir comme des atouts ce que l’on prenait jusqu’ici pour des insuffisances dans nos parcours professionnels : c’est l’apport enthousiasmant de la première table ronde de l’événement intitulée « Audace au féminin : entre choix de vie et transition professionnelle ». Une discussion fructueuse et mémorable sur laquelle il faut revenir afin de transmettre ses enseignements à toutes celles et ceux qui n’ont pu l’écouter.

Autour de la table, l’échange animé par la journaliste Catherine Laurent réunit trois drôles de dames qui, malgré les embûches, n’ont pas eu froid aux yeux professionnellement ! Marie Oliveau a créé, après plusieurs postes à responsabilités dans la communication, un cabinet de recrutement pas comme les autres nommé Talent sur mesure, qui privilégie les formes non conventionnelles de travail comme le temps partiel ou le travail flexible choisis. Agnieszka Majewska, diplômée en histoire et en affaires européennes, est actuellement consultante manager au sein du département Transformation Durable du cabinet Grant Thornton et a évolué dans le secteur de l’énergie et de la RSE, mais pas uniquement dans le salariat… Et Laetitia Vitaud, autrice et conférencière, a créé son entreprise Cadre Noir après avoir exercé plusieurs métiers dont celui, à l’opposé de l’entrepreneuriat, de professeur en classes préparatoires à HEC. Leurs parcours ont souvent emprunté des chemins de traverse, mais cela ne les a pas disqualifiées pour autant. Les leçons de vie qu’elles en ont tirées, elles ont accepté de les partager.

Enseignement#1 : Osez donner vos conditions

Les femmes ont souvent tendance à se comporter en bonnes élèves, à penser qu’elles doivent s’estimer heureuses d’être embauchées et qu’il serait mal vu et malvenu d’exprimer leurs besoins, leurs contraintes ou leurs conditions. Elles n’osent pas négocier car elles ont peur que cela leur nuise.

Mais il existe au moins une femme qui a osé imposer ses vues dès le début de sa carrière : c’est Marie Oliveau ! « J’ai refusé un poste qu’on me proposait à temps plein parce que j’enseignais la communication dans une école de commerce. Je leur ai dit : ’ça ne va pas être possible car j’ai d’autres engagements et en plus je suis enceinte et en plus on va peut-être partir aux Etats-Unis avec mon mari l’an prochain !’ » Elle propose alors de mettre en place à mi-temps le service communication et de trouver quelqu’un pour prendre sa suite et pérenniser la structure. « C’était du management de transition mais je ne savais pas que ça s’appelait comme ça ! »

👉Plusieurs fois ensuite, au culot, elle a réitéré l’expérience : de nouveau sollicitée pour prendre la tête de services de communication, elle a décliné le temps plein en proposant de s’investir à temps partiel, en télétravail parfois, afin de concilier ses différentes contraintes tout en menant à bien la mission qu’on lui confiait. Et à chaque fois, en argumentant, elle a emporté la négociation.

La révolution, c’est de s’autoriser à penser autrement. Il faut à la fois oser rêver et être pragmatique

Pendant sa « période de jachère », qu’elle appelle ainsi parce qu’elle a levé le pied professionnellement pour s’occuper de sa famille nombreuse, elle a rencontré « beaucoup de gens de talent mais qui ne voulaient plus travailler 70 heures par semaine et des chefs d’entreprise qui n’en pouvaient plus de sentir que les gens n’avaient pas envie de venir au travail ». Or Marie savait que si le travail est fait, on peut toujours s’arranger sur la manière de procéder. « Je me suis dit qu’il fallait vraiment que je partage ce que j’avais eu le culot de faire à mes débuts ». Elle ose se lancer dans un nouveau métier, les ressources humaines, et crée le cabinet de recrutement Talent sur Mesure. Son objectif, c’est de mettre en commun les besoins des petites et moyennes entreprises et les nouvelles aspirations des talents. « Une TPE n’a pas forcément besoin d’un directeur financier à temps plein. Or un chef d’entreprise pense souvent que si ce n’est pas un temps plein, ça ne va intéresser personne. De même, les besoins et les contraintes des candidats, ce n’est pas tabou chez nous. La révolution, c’est de s’autoriser à penser autrement.Il faut à la fois oser rêver et être pragmatique. Dire ce qu’on peut apporter à l’entreprise.»

👉Son conseil aux candidats ? Saisir le besoin de l’entreprise et être force de proposition pour y répondre.

Enseignement#2 : Osez bifurquer et réaliser ce que vous aimez !

Ses aspirations et ses contraintes, Agnieszka Majewska a su leur faire une place dans sa carrière en osant abandonner le fantasme d’un parcours linéaire. Après 7 ans dans le secteur de l’énergie, elle veut donner vie à un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps : faire une thèse ! Elle vient aussi de donner naissance à son premier enfant et souhaite en finir avec les voyages à l’étranger. Elle bifurque alors vers le quotidien plus sédentaire de l’université et se consacre pendant4 ans à la réalisation de sa thèse sur le sujet de l’influence politique des entreprises sur la réglementation environnementale en France. Son emploi du temps est bien chargé, car elle est également enseignante et encadre de jeunes étudiants en mémoire de master. Une expérience exigeante, de longue haleine, différente, mais qui lui permettra aussi d’approfondir son expertise de la RSE en rencontrant de nombreux acteurs du développement durable, qui lui transmettront la multiplicité de leurs points de vue et de leurs expériences. Autrement dit, une autre manière de faire évoluer sa carrière !

Enseignement#3 : Osez vous valoriser !

Après avoir obtenu le diplôme de HEC et exercé quelques années comme commerciale dans une SSII, Laetitia Vitaud se reconvertit, passe l’agrégation et devient professeur en classes préparatoires HEC. Cela durera 8 ans avant qu’elle ne quitte la fonction publique par manque de perspectives de carrière. Elle prend alors un poste dans les ressources humaines au sein d’une entreprise de la tech à Londres, où sa famille s’installe. Mais l’expérience se passe mal et Laetitia réalise qu’elle préfère ne pas avoir de patron pour lui dire chaque jour ce qu’elle doit faire. « C’est comme ça que j’ai décidé de créer mon entreprise, à partir de rien et surtout à partir d’un échec »;

« Oui j’ai eu peur » avoue-t-elle, « peur de ne pas avoir de clients, de retraite. Mais ce n’était pas un changement si radical du point de vue des conditions de travail : c’était comme préparer des cours. » Laetitia Vitaud se lance en effet dans la création de contenus et accepte au début des missions alimentaires. Mais bientôt, elle saisit comment faire grandir son entreprise.

« J’ai commencé à remplacer les tâches alimentaires par des missions qui me permettaient de créer un profil, une expertise et une crédibilité : j’ai beaucoup publié sur les mutations du travail et peu à peu des acteurs du free-lancing sont venus vers moi pour me proposer des sujets. Car il y a toujours cet équilibre à maintenir entre le long terme qui est la création d’une expertise et le court terme qui est de faire rentrer du chiffre d’affaires. »

C’est la même problématique lorsqu’on écrit un livre. « Ecrire un livre c’est un sacerdoce, c’est long, pénible, douloureux. On gagne zéro par rapport au travail fourni. Mais c’est une vraie valorisation d’expertise et ça permet de faire décoller votre légitimité sur un sujet. Et plus votre expertise prend de la valeur, plus elle peut être déconnectée du temps vendu à des clients et vous rapporter davantage, comme par un effet boule de neige. »

Enseignement#4 : Osez aimer votre parcours !

Pour faire évoluer sa carrière, Agnieszka Majewska nous a parlé d’un atout considérable mais souvent négligé par manque d’audace : le réseau ! Alors qu’elle finit sa thèse, elle s’interroge sur la direction à donner à sa carrière. Poursuivre un parcours académique lui semble difficile : peu de postes et beaucoup de concurrence, la pression des articles à publier, des conférences à donner, donc encore des voyages à l’étranger…

👉En partageant ses questionnements autour d’elle, on lui conseille de se faire accompagner par l’association Oser78. Deux mois à temps plein en petit groupe pour réfléchir à son parcours, trouver sa voie et concrétiser son nouveau projet professionnel, pour un prix abordable : un peu plus de deux cents euros.

« C’était parfois difficile émotionnellement de revenir sur ses échecs, mais on gagne en confiance et on en ressort grandie, avec la tête haute, et ça permet d’avoir un positionnement tout à fait différent.»

Ce qui a achevé de tout changer, c’est le réseau. L’association propose de vous ouvrir son carnet d’adresses et de choisir des personnes dans le secteur qui vous intéresse si vous n’avez pas de contacts.

« C’était un jackpot car dès le premier entretien de réseau que j’ai fait timidement avec un projet pas encore finalisé, j’ai trouvé mon poste actuel. Pourtant cet entretien n’était pas parfait mais la bienveillance des gens m’a aidée à trouver ce qu’il me fallait. »

Garder la tête haute et savoir se positionner est clé et ce n’est pas Marie Oliveau qui dirait le contraire. « Je suis sidérée par certains posts sur les réseaux sociaux où il est écrit : ‘je veux un emploi, n’importe lequel’. Or ce n’est pas du tout rassurant pour une entreprise » fait-elle remarquer. « Il ne faut pas s’excuser de demander pardon de rechercher un emploi. Les entreprises ont besoin de vous et vous êtes capable d’apporter de belles choses. Dire ‘J’aime faire ça ‘, ‘voilà ce que je peux apporter’, ‘voilà comment je peux rendre service’, c’est beaucoup plus convaincant pour un employeur. »

Dans son cabinet de recrutement, elle pratique des bilans de compétences spécialisés et de la dynamisation de CV. Pour contourner la difficulté des vides que l’on peut avoir dans son cursus, elle suggère de présenter son parcours sous l’aspect des compétences : « ça lisse les trous » explique-t-elle.

Apprendre à aimer son parcours et en parler avec fierté, c’est la chose la plus séduisante !

« ‘Justifier’ son parcours c’est très défensif » considère Laetitia Vitaud. « Agnieszka a évoqué le fait de ‘parler sans complexe’ et je trouve que s’approprier son cursus, comprendre pourquoi on l’a fait, c’est fondamental. Apprendre à aimer son parcours et en parler avec fierté, c’est la chose la plus séduisante ! »

Elle cite à l’appui cette phrase de Churchill qu’elle affectionne : « le succès consiste à aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ! »

Enseignement#5 : Osez sortir des cases !

Les parcours non linéaires, on ne nous y a pas préparé. Laetitia Vitaud en témoigne avec humour. Elle raconte avoir été élevée par des « vieux boomers » qui ont vécu dans la mentalité des Trente Glorieuses et lui ont fait passer des messages du type : « Tu peux tout faire », « Tu auras une carrière ascendante ». Mais la fin du XXème siècle avec son chômage de masse et sa révolution numérique a rebattu les cartes.

« Je ne savais pas que c’était normal d’avoir une carrière non linéaire, j’étais très naïve et passive, je pensais que j’avais fait une grande école et qu’on viendrait me chercher. Mais personne n’est jamais venu me chercher ! C’était très décevant ! »

Elle ajoute que les parcours non linéaires vont même devenir la règle à l’avenir. Pourquoi ? La première raison, c’est le vieillissement de la population : les cohortes des plus de 40 ans et des plus de 60 ans, « les sexas sexys » comme elle dit avec malice, vont être plus nombreux au travail, tandis que les jeunes vont se raréfier. La deuxième raison, c’est la diminution de la durée de vie des entreprises. « Ces deux facteurs cumulés vont provoquer une multiplication des transitions dans les manières de travailler et dans les carrières. Par exemple, on va poursuivre la même mission mais on va déployer des compétences différentes, ou bien on va mettre en œuvre les mêmes compétences mais au service de missions différentes. On va changer d’employeur pour faire le même métier, ou bien on va rester chez la même catégorie d’employeur mais en changeant de métier » explique-t-elle. « L’autre type de parcours qui va se développer, c’est le fait de travailler quelques années en tant qu’indépendant, puis de redevenir salarié, puis d’exercer un temps partiel, etc. »

Elle ajoute que la grande révolution aujourd’hui, c’est qu’un âge ne correspond plus à une situation de vie. « Dans le monde d’avant, on avait une vision très adéquationniste de l’âge qui était associé à une attente sociale : à tel âge il fallait acheter un appart, avoir des enfants, devenir manager. « Maintenant, les marqueurs de l’âge se brouillent. Avoir 50 ans aujourd’hui, ça veut dire plein de choses différentes. On peut être au top de sa carrière, ou bien se cogner au plafond de verre et opérer une reconversion et tout recommencer à zéro. On peut être fraîchement séparé et se retrouver à chercher un logement comme quelqu’un qui a 25 ans. Parler de situations de vie est plus pertinent que de parler d’âge, car on peut avoir davantage de choses en commun avec un jeune qu’avec quelqu’un de son âge. »

Finalement, c’est parce que nos vies ne sont plus linéaires que nos parcours professionnels ne le sont pas non plus.

Agnieszka Majewska conclut en recommandant d’être persévérante sans être têtue :

comme tout ne se passe pas comme prévu, il faut garder l’esprit ouvert pour reconnaître les opportunités et les saisir, quitte à prendre un chemin de traverse pour arriver à ses fins.

C’est d’ailleurs le sens d’une citation de Christiane Singer qui résonne avec les parcours non linéaires : « Un succès considérable peut n’être qu’une coquille vide et une cheville tordue te faire retrouver le chemin perdu. Tu ne sais jamais ce qui relie les choses entre elles ». Sans le savoir, nous sommes peut-être sur notre meilleur chemin de vie. Osons le suivre !

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